L’intestin et les bactéries qu’il abrite, le microbiote, seraient-ils à l’origine des troubles anxieux et dépressifs ? C’est l’hypothèse défendue par la psychomicrobiotique, un domaine de recherche en plein développement qui pourrait révolutionner le traitement et la prise en charge des patients en psychiatrie.
Entretien avec Guillaume Fond, psychiatre au CHU Henri-Mondor et chercheur en psychiatrie translationnelle à l’INSERM.
Propos recueillis par Lucien Fauvernier – Mis à jour le 10 Juin 2016 à 12 :13
En quoi consiste la psychomicrobiotique ?
Guillaume Fond : C’est un champ de recherche qui s’intéresse au lien entre les perturbations du microbiote intestinal et les troubles psychologiques. Au tout début des études sur le microbiote, ou flore intestinale, nous pensions que les bactéries qui le constituent n’étaient utiles qu’à la digestion. Dans les années 2000, plusieurs études ont contribué à ouvrir les champs d’investigation en soulignant son rôle très important dans le développement du système nerveux central. L’une de ces études montrait notamment que des souris nées en conditions stériles, qui n’ingéraient donc pas un certain nombre de bactéries à leur naissance, développaient des troubles anxieux très importants. Si on leur injectait par la suite des bactéries ciblées, ces troubles disparaissaient. Depuis, il a été démontré chez l’homme que le microbiote peut influencer le système nerveux central de nombreuses façons. En agissant directement sur le nerf vague, par exemple, dont 80 % des fibres sont reliées directement à des zones du cerveau qui contrôlent nos émotions. Les bactéries du tube digestif synthétisent également des neurotransmetteurs comme la dopamine ou la sérotonine. Si le microbiote est perturbé, il peut alors jouer sur la production de ces molécules régulatrices de l’humeur dans notre cerveau. Object 1
Comment expliquer que ce lien n’ait été découvert que très récemment ?
Guillaume Fond : La recherche en psychomicrobiotique a fait un bond à partir de 2009, tout simplement car nous n’avions pas de technique assez élaborée pour étudier convenablement la complexité bactériologique de la flore intestinale. Les toutes premières avancées ont été réalisées dans le domaine de la gastro-entérologie qui a fait le lien entre déséquilibre microbiotique et certaines maladies chroniques inflammatoires, comme la maladie de Crohn ou cœliaque. Ensuite, les recherches se sont penchées sur les perturbations de laflore intestinale chez des enfants souffrant d’autisme par rapport aux enfants sains. Ces mêmes perturbations ont été retrouvées chez les frères et sœurs d’enfants autistes. De telles découvertes laissent penser qu’un microbiote mal équilibré peut être un terrain favorable à l’autisme, sur lequel s’ajouterait un facteur environnemental déclencheur. En psychiatrie, le microbiote serait un chaînon manquant essentiel pour expliquer pourquoi il y a des patients qui ne répondent pas aux traitements, ou comprendre les mécanismes de déclenchement de certaines maladies mentales comme les troubles anxieux, la dépression, les troubles du comportement alimentaire… Le microbiote fournirait aussi une clé de compréhension concernant le très mauvais état de santé physique de certains patients, avec des tendances à l’obésité ou au diabète, et une mortalité précoce due à des maladies cardio-vasculaires. Celles – ci sont devenues la première cause de mortalité chez les patients atteints de troubles psychiatriques, devant le suicide.
Que peut apporter la psychomicrobiotique aux patients souffrant de troubles psy ?
Guillaume Fond : Potentiellement, elle pourrait fournir une explication quant à l’origine de leurs troubles et ouvrir des pistes vers de nouvelles solutions de prise en charge. Ainsi, nous irions traiter le mal à la racine, plutôt que de prescrire des traitements qui essayent de compenser la perturbation au niveau cérébral. Actuellement, ce que l’on fait en psychiatrie revient à administrer du Doliprane lors d’un épisode de fièvre pour faire baisser la température : nous traitons les symptômes, pas l’origine de la maladie. Si demain, le lien entre un déséquilibre du microbiote et un certain trouble psychique était clairement établi, nous pourrions rééquilibrer en profondeur et très précisément la flore intestinale du patient, plutôt que de lui donner un traitement agissant sur le cerveau. Pour le moment, tout reste à faire, car il faut établir des preuves scientifiques solides pour montrer l’intérêt, par exemple, des probiotiques dans le traitement de la flore intestinale. En attendant, une mesure thérapeutique essentielle à prendre, malheureusement trop peu réalisée, est de modifier le régime alimentaire des patients. Il faut favoriser les aliments aux propriétés anti-inflammatoires, ceux riches en fibres et en protéines comme les légumes et légumineuses, et éviter les graisses saturées ou sucres rapides typiques de la junk food.
Il existerait donc un régime alimentaire pour prendre soin de sa santé mentale ?
Guillaume Fond : Oui tout à fait. Avant toute consultation psychiatrique ou demande d’anxiolytiques/antidépresseurs, les personnes qui présentent certains symptômes – troubles du sommeil, anxiété ou chutes dépressives – devraient bien examiner ce qu’elles mangent. Souvent leur alimentation est déséquilibrée : saturée en graisses ou en sucres. De nombreuses personnes qui se sentent déprimées lient ce ressenti à de la fatigue. Or, cette fatigue peut être causée par une inflammation intestinale qui entraîne une baisse d’énergie. L’amélioration de son alimentation est un vrai potentiel inexploité afin de commencer à résoudre ses problèmes psy. A une alimentation saine et riche en aliments aux propriétés anti-inflammatoires, des apports en vitamine D, peuvent être utiles, car une carence quasi-systématique est observée chez les personnes dépressives. Les pro-biotiques peuvent être utiles également, même si la majorité des bactéries sont éliminées lors de leur passage dans l’estomac.
Après le rhésus sanguin, le profil microbiotique ?
Une étude publiée dans la revue Nature, en 2011, dresse trois profils microbiotiques ou entérotypes : bactéroïde, prévotella et ruminococcus, en fonction du type majoritaire de bactéries présent dans la flore alimentaire. Ce profil, n’ayant aucun lien avec l’âge, le sexe ou l’ethnie, mais lié à notre régime alimentaire à long terme pourrait se révéler utile pour soigner certaines maladies en lien avec un problème microbiotique. Il permettrait en effet aux médecins de diagnostiquer des déséquilibres bactériologiques en fonction de notre entérotype. Cependant, ces profils sont sources de débat dans le monde médical car ils supposeraient que notre microbiote soit stable dans le temps, alors que certains chercheurs soutiennent son caractère changeant.