préface

David Healy, MD FRC Psych est psychiatre, historien de la psychiatrie,chercheur en psychopharmacologie et directeur du North Wales Department of Psychological Medicine, College of Medicine, Cardiff University, Bangor, Royaume-Uni.

Monique Debauche est psychiatre à Bruxelles, Belgique

Gilles Mignot est pharmacologue et psychiatre, praticien hospitalier au CHU de Nice, responsable de la rubrique << Rayon des nouveautés ›> à la revue Prescrire, France

L’édition originale, Psychiatric Drugs Elplaíned, 5th edition (ISBN 978-0-7020-2997-4), a été publiée par Churchill Livingstone, une marque d’Elsevier Ltd.

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Préfaces

1 Préface de l’édition française par Gilles Mignot

Gilles Mignot Pharmacologue et psychiatre, Praticien hospitalier au CHU de Nice, Responsable de la rubrique « Rayon des nouveautés ›› à la revue Prescrire –

Dans cet ouvrage, David Healy présente les classes de médicaments psychiatriques de manière très complète et indépendante de celle fournie par les firmes pharmaceutiques. Le tableau qu’il brosse n’est pas reluisant. Les antidépresseurs n’agissent que chez 50 % des patients, à comparer aux 40 % des patients soulagés par un placebo. Faut-il d’ailleurs parler d’effet antidépresseur Rien n’est moins sûr et il n’est pas rassurant de constater que les inhibiteurs dits << spécifiques ›› de la re capture de la sérotonine (ISRS), commercialisés comme antidépresseurs, augmentent le risque suicidaire même lorsqu’ils sont prescrits à des patients non déprimés. Le traitement des psychoses n’a pas non plus progressé de manière tangible. Les médicaments neuroleptiques les plus récents, même camouflés derrière l’appellation d’antipsychotiques atypiques ››, ont globalement autant d’effets indésirables que les médicaments plus anciens, sans être plus efficaces.

A vouloir simplifier jusqu’à la caricature les modes d’action supposés des médicaments agissant sur le système nerveux central, on oublie les multiples interactions entre systèmes neuronaux utilisant des neuromédiateurs différents et on ne progresse pas dans la compréhension des mécanismes à l’origine des maladies mentales.

Aujourd’hui, dès sa petite enfance, chaque être humain est un malade qui s’ignore et qu’il conviendrait de médicamenter. Les maladies déjà connues ont été redéfinies, redécoupées au gré des << niches thérapeutiques ›› à occuper, une maladie correspondant à chaque médicament. Tout enfant un peu remuant est candidat à l’étiquette d’hyperactif et se verra soumis à des dérivés amphétaminiques dont les effets néfastes à long terme sont encore mal connus. D’ailleurs, point n’est besoin d’être remuant, puisque pour satisfaire aux critères diagnostiques du syndrome d’hyperactivité avec déficit de 1’attention, il suffit d’avoir des troubles de l’attention, symptômes aux limites floues et fluctuantes en fonction de l’âge. Mieux, cette pseudo-maladie persisterait à l’âge adulte ouvrant la voie à des traitements à vie. La contagion intergénérationnelle est réciproque. La psychose maniaco-dépressive, rebaptisée « trouble bipolaire ›› pour être plus vendeur, toucherait non seulement les adultes mais aussi les enfants dès leur plus jeune âge.

La classification traditionnelle des médicaments à visée psychique ne correspond plus à grand chose : les limites entres les classes sont devenues floues, d’autres médicaments ont été détournés de leur usage ancien dans d’autres domaines thérapeutiques pour le traitement des maladies psychiques. Ainsi en est-il de certains antiépileptiques maintenant proposés bien au-delà du cercle restreint de l’épilepsie.

La Panacée, recherchée depuis l’Antiquité, aurait été découverte récemment. Les ISRS sont, en effet, commercialisés aussi bien pour la dépression que pour les troubles anxieux. A quoi bon, des lors, s’évertuer à poser le bon diagnostic alors qu`il suffirait devant toute souffrance psychique de prescrire un ISRS et de rajouter un « antipsychotique atypique ›> si cela ne donne pas l’effet escompté, pratique de plus en plus courante dénoncée par l’auteur.

« Mais enfin, direz-vous, tous ces médicaments n’ont-ils pas fait l’objet d’études dont on nous dit qu’elles seraient fort coûteuses ? ›>. D’ailleurs les plus grandes revues scientifiques internationales sont pleines de comptes rendus d’essais comparatifs randomisés en double aveugle. Ils sont devenus la référence incontournable de la médecine basée sur les preuves (Evidence Based Medicine (EBM)). Evidence Based Medicine ou Evidence Biaised Medicine ‘? En réalité, ce livre montre que la quasi totalité de ces essais est mise en place et réalisée par les firmes pharmaceutiques pour répondre aux demandes de leurs services marketing, d’où risque de manipulations statistiques, résultats concernant l’efficacité occultés voire falsifiés quand ils <<dérangent ››, effets indésirables négligés, mal recueillis, voire camouflés. Quand au coûts des essais, ne vous inquiétez pas, ce sont les malades et les assurances sociales (donc chacun de nous) qui les assument puisque ces médicaments sont remboursés au prix fort même s’ils n’apportent pas de progrès thérapeutique.

La responsabilité de l’industrie pharmaceutique dans le naufrage actuel de la psychiatrie est lourde et indéniable. Mais il serait trop facile d’en faire un bouc émissaire. L’industrie n’a fait qu’occuper l’espace laissé libre par les autres parties intéressées au médicament. Les grandes agences du médicament, telles que la Food and Drug Administration (FDA) états-unienne et l’Agence européenne du médicament (EMEA), ont démissionné de ce qui devrait être leur fonction principale : la protection de la santé publique. Dépendant de plus en plus pour leur financement des redevances liées aux demandes d’autorisation de mise sur le marché, elles sont enclines à satisfaire en priorité leurs financements.

A travers les guidelines de l’ICH, les firmes en sont arrivées a dicter elles-mêmes les règles d’évaluation de leurs médicaments . Certains soignants doivent l’essentiel de leur carrière et de leurs revenus aux industriels. Et que dire des soignants qui acceptent moyennant finance de participer à des essais éthiquement discutables ? Et des praticiens qui ont abandonné leur formation continue aux mains des firmes et qui acceptent de prescrire sans esprit critique ? Les patients eux-mêmes, pourtant les premières victimes d’un système dévoyé, participent parfois a sa survie. Nombre d’associations de malades sont financées par des industriels.

Combien de patients soumis à la publicité de l’industrie viennent exiger la dernière spécialité ?

1 L’ICH [International Collaborative Harmonisation) est un petit club fermé composé de 6 membres, les agences du médicament étatsunienne, européenne et japonaise ainsi que les syndicats de l’industrie pharmaceutique dans ces trois régions du monde. Ne participent ni soignants, ni organisations de malades. L’Organisation Mondiale de la Santé elle-même n’est invitée que comme observateur, sans aucun pouvoir.

De manière fort discrète, ce club élabore les règles d’évaluation des nouveaux médicaments soumis a l’AMM et ce que doit être le contenu minimum de leurs dossiers d’évaluation. L’industrie pharmaceutique se trouve ainsi directement impliquée dans l’élaboration des règles auxquelles elle doit répondre. Mieux, en assurant le secrétariat de cet organisme, elle y joue de fait un rôle prépondérant –

Faut-il pour cela baisser les bras et céder au découragement ? Certes non. Dans de nombreux pays, on trouve des centres d’information indépendants sur les médicaments qui font le tri entre vraies et fausses nouveautés. La plupart d’entre eux se retrouvent au sein de l’International Society of Drug Bulletins {ISDB) pour s’épauler et échanger leurs expériences. De nombreux soignants refusent les journaux soi disant gratuits, ne reçoivent plus les visiteurs médicaux et consacrent beaucoup de temps à se former, à leurs frais, de la manière la plus rigoureuse possible. Au sein même des agences, certains services font, le plus souvent dans la discrétion, un vrai travail de fond.

Certains << experts ›› méritent pleinement ce nom et refusent le prêt à penser. David Healy en est un des plus brillants représentants. Il propose dans ce livre une solution quasiment révolutionnaire pour nos sociétés complexes dites « avancées ›› : en revenir au simple bon sens et remettre le patient, dans son individualité, au centre des systèmes de soin. A juste titre, l’auteur nous rappelle que les premiers psychotropes de l’époque moderne ont été découverts << par hasard ›› par des cliniciens attentifs qui ont su observer et écouter leurs malades et admettre que les effets des médicaments que ceux-ci décrivaient n’avaient rien à voir avec les effets a priori attendus. Il est urgent de revenir à des soins personnalisés adaptant pour chaque patient le traitement (médicamenteux ou non) qui lui convient le mieux après une écoute minutieuse qui l’emporte sur les a priori.

Il est urgent que les patients ne soient plus sujets mais acteurs des soins qui leurs sont prodigués, qu’ils bénéficient d’une information indépendante des firmes et non biaisée sur les divers traitements disponibles, avec leurs avantages et leurs inconvénients et qu’ils puissent ainsi participer aux décisions qui les concernent. Écouter les patients, les faire participer activement à leurs traitements en respectant au maximum leur liberté, voilà bien ce qui semble une évidence.

La lecture de ce livre est utile à tous. Elle encouragera ceux engagés dans une vision humaniste de la médecine. Pour les autres, souhaitons qu’elle constitue un véritable électrochoc.

2 Préface de l’édition anglaise

David Healy – Bangor, 2008′

Alors que le rythme du développement de nouvelles substances s’est nettement ralenti et que les médicaments réellement innovants mis sur le marché se font rares, nous assistons ces dernières années à une série de changements significatifs dans le domaine des médicaments psychiatriques. Ceux-ci sont avant tout liés à une capacité accrue des firmes pharmaceutiques à analyser nos perceptions en tant que consommateurs ou prescripteurs de médicaments. Ils sont observables dans différents domaines et se manifestent par l’augmentation des prescriptions de médicaments psychiatriques chez les enfants, un engouement soudain pour le diagnostic de trouble bipolaire ou par les stratégies marketing qui tournent autour des dysfonctionnements sexuels.

Dans ce contexte jusque-là florissant pour l’industrie, personne ne s’attendait à ce qu’un mastodonte de la psychopharmacologie ne dérape comme ce fut le cas en 2003. À ce moment précis, Lilly venait d’obtenir et GlaxoSmithKline et Pfizer étaient sur le point de recevoir une autorisation de mise sur le marché de leurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) pour le traitement des enfants. La littérature scientifique concernant ces produits prescrits en pédiatrie les présentaient universellement comme étant sûrs, bien tolérés et efficaces. Le magazine Newsweek montrait en couverture, dans le cadre de la Semaine de la Santé Mentale en 2002, l’image d’un adolescent déprimé. À l’intérieur, on pouvait lire qu’aux États-Unis, 3 millions d’adolescents étaient déprimés et donc susceptibles de se suicider.

Mais quand finalement l’agence de régulation du Royaume-Uni a examiné les données brutes issues des essais cliniques réalisés avec ces médicaments chez les enfants, elle a conclu que, bien au contraire, ces produits n’étaient ni sûrs, ni efficaces, et que loin de prévenir les suicides, ils pouvaient même les déclencher –

Comment une telle situation a-t-elle pu se produire ? Une partie du problème s’explique par le fait qu’une proportion sans cesse croissante de la littérature présumée scientifique concernant les médicaments est rédigée par des agences spécialisées en stratégies marketing et est, en termes de qualité scientifique, plus décorative que chargée de contenu. Ce qui prend l’apparence de la science n’est en fait que de l’information commerciale visant à vendre des produits. Les cliniciens, dans leurs journaux spécialisés,voient, d’un côté, la publicité pour le produit et, de l’autre, les détails d’un essai clinique randomisé sans réaliser que c’est ce dernier qui est le réel outil de la stratégie marketing de la firme.

Face à cela, la pertinence d’un livre comme celui-ci vient de ce qu’il donne aux cliniciens des outils pour encourager ceux qui prennent ces médicaments à faire confiance en leur propre expérience et à ne pas se laisser intimider par les déclarations des professionnels sur les effets supposés qui s’apparentent bien souvent à de la bio mythologie simpliste. Il y a encore 10 ans, une telle approche aurait semblé souhaitable sans être indispensable. Mais la relation du clinicien avec ses patients a évolué de telle façon que ces derniers ne se sentent plus écoutés lorsqu’ils témoignent d’une souffrance engendrée par la prise d’un médicament. Souvent, le patient se verra même conseiller dans un tel cas de doubler la dose de son traitement.

Les symptômes de sevrage, quant à eux, seront interprétés comme la réapparition de la pathologie sous-jacente nécessitant la ré-instauration ou la poursuite du traitement. Bien que des situations désagréables comme celles-ci aient toujours existé, il est maintenant manifeste que cette déconnexion entre les médecins sous l’influence des firmes et ceux d’entre nous qui prennent les médicaments prescrits peut avoir des conséquences fatales.

Les événements récents, illustrant ce qui vient d’être dit,suggèrent que des consommateurs informés et peut-être d’autres professionnels du soin pourraient être amenés à se mobiliser et à lancer des actions en faveur d’une reformulation du contrat établi entre la société et les firmes pharmaceutiques. Jusqu’à présent, ces dernières se sont, en effet, vu attribuer, en contrepartie du contrôle strict auquel elles sont soumises, un grand nombre de privilèges. Parmi ceux-ci figure l’autorisation de ne pas divulguer les données brutes issues des essais cliniques réalisés sur des personnes qui acceptent, le plus souvent gratuitement, de prendre des risques en testant des médicaments. En définitive, les résultats obtenus soit sont déformés, soit ne sont pas publiés s’ils ne vont pas dans le sens de la stratégie marketing de la firme.

Le système actuel place les médecins dans une position centrale pour défendre les intérêts des patients. Mais on observe qu’au contraire, ils se retrouvent dans une position de vulnérabilité vis-à-vis des firmes et qu’en conséquence, les patients n’ont plus le courage de s’exprimer comme ils l’auraient fait auparavant en s’autorisant à poser des questions.

Il serait dès lors grand temps de revisiter les fondements même de ce contrat, maintenant que les firmes pharmaceutiques et les médecins semblent avoir dépassé les scrupules qui les empêchaient jusqu’à présent de mettre en danger les êtres les plus vulnérables de notre société, à savoir les enfants.

Référence

1. Medawar, C., Herxheimer, A., Bell, A., Iofre, S., Paroxetine,

panorama, and user reporting of ADRs. Consumer intelligence matters in clinical practice and post- marketing drug surveillance, [nr] Rzkfë .S’afe{y Med 15 –

(2003)161~169.

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