Ces maladies psychiatriques qui n’en sont pas : comment les démasquer ?
Dépression sévère ? Schizophrénie ? Non : carence en vitamines. Tel est l’étonnant diagnostic que reçoivent certains patients, victimes de pathologies dites organopsychiatriques. Véritables caméléons, ces pathologies miment toutes sortes de maladies mentales et provoquent souvent une longue errance médicale.
Alexis Bourla, Florian Ferreri et Stéphane Mouchabac , Psychiatres –Publié le 22/08/2018 à 08h00 dans la revue CERVEAU 1 PSYCHO
Nicolas est un jeune homme d’une vingtaine d’années qui a tenté de se suicider en avalant des produits toxiques. Quand il arrive à l’hôpital, l’urgence est de le sauver et les chirurgiens doivent lui enlever une partie de l’estomac et de l’œsophage. Ensuite, le diagnostic tombe : dépression sévère. On lui prescrit des médicaments et une psychothérapie, qu’il suit pendant quelque temps, puis on le perd de vue. Les années passent et Nicolas est à nouveau amené aux urgences, cette fois par la police et dans un état d’agitation important. Vivant dans la rue depuis presque un an, il ne prend plus soin de lui, parle tout seul, répond aux questions de manière totalement inadaptée et souffre d’hallucinations auditives. Les soignants s’interrogent, enquêtent, et reconstituent peu à peu les parties manquantes de son histoire. Quelques mois après sa dépression, alors qu’il s’en était remis, il a vu son état se dégrader de nouveau progressivement. Il a fini par quitter sa compagne sur un coup de tête, puis s’est mis à errer dans la ville sans raison, en délirant sur un complot à son encontre. Un nouveau diagnostic est alors posé : schizophrénie. L’état de Nicolas est grave, il est hospitalisé en psychiatrie. Mais plusieurs mois de traitements ne donneront aucun résultat. Le patient enchaîne les médicaments antipsychotiques sans le moindre bénéfice. Les tests sanguins standards et l’imagerie cérébrale ne révèlent rien de significatif.
Nicolas est alors transféré dans notre unité, à l’hôpital Saint-Antoine, pour effectuer des examens complémentaires, voire tenter des thérapies innovantes. Enfin, le bon diagnostic tombe : non, ce n’est pas dans la tête, rien à voir avec une maladie mentale. Les symptômes s’expliquent par une carence très sévère en vitamine B12. Immédiatement, nous prescrivons à Nicolas des suppléments vitaminiques. En seulement quatre semaines, ses symptômes psychiatriques disparaissent. Il sort de l’hôpital peu après. Trois mois plus tard, il a retrouvé un logement, un travail et a renoué avec son entourage.
Le cas de Nicolas est typique des « maladies organiques à expression psychiatrique », ces pathologies qui ont une cause physiologique mais miment un trouble psychiatrique. Véritables caméléons, elles sont capables d’imiter toute la gamme des maladies mentales : dépression, trouble anxieux, schizophrénie… Au sein de l’hôpital Saint-Antoine, notre service est régulièrement confronté à ces cas où s’estompe la frontière entre ce qui tient du corps et de l’esprit. Certaines études estiment qu’environ 10 % des diagnostics psychiatriques sont erronés, passant à côté d’une cause organique sous-jacente.
Dépression ? Non ! Manque de vitamines
Mais revenons à Nicolas. Comment un simple manque de vitamines peut-il déclencher des symptômes aussi sévères ? La vitamine B12 est impliquée dans plusieurs cycles enzymatiques essentiels. Dès lors, sa carence entraîne le dysfonctionnement des « chaînes de fabrication » de certains neuromédiateurs clés – comme la sérotonine, impliquée dans la régulation émotionnelle –, dont la quantité diminue dans le cerveau. En outre, des dérivés toxiques s’accumulent, déclenchant une inflammation cérébrale. Certaines molécules produites lors de cette réaction (comme les cytokines) provoquent une hypersensibilité de l’axe du stress, une diminution supplémentaire de la production de neuromédiateurs et toutes sortes d’autres réactions qui affectent le psychisme. Au final, une carence en vitamine B12 peut perturber gravement l’humeur, voire se traduire par des troubles psychotiques chez certains patients vulnérables.
Outre les vitamines, les hormones ont une influence capitale sur le psychisme. Nombre de pathologies endocriniennes sont alors confondues avec des maladies psychiatriques. La thyroïde, une petite glande située à la base de notre cou, produit par exemple plusieurs hormones « activatrices » – qui stimulent le métabolisme –, essentielles au fonctionnement cérébral. Par conséquent, une hypothyroïdie (un manque d’hormones thyroïdiennes) peut ressembler à une dépression et une hyperthyroïdie (un excès de ces hormones) à un syndrome maniaque. Autre exemple, certaines maladies des glandes surrénales, qui fabriquent le cortisol – l’hormone du stress –, entraînent un excès chronique de cette hormone et provoquent des symptômes anxieux ou dépressifs.
Trouble anxieux ? Non ! Problème hormonal
En général, les médecins connaissent ces manifestations psychiatriques et contrôlent les taux d’hormones. « Tous les endocrinologues rapportent des histoires de patients présentant des signes de dépression et d’anxiété qui ont disparu après un contrôle et un rééquilibrage de leur taux d’hormone thyroïdienne », rapporte ainsi Barbara Demeneix, spécialiste de cette hormone, dans son livre Cocktail toxique. Toutefois, notre expérience nous incite à penser que certains cas passent sous les radars, car nous avons constaté que des modifications très minimes, dans la limite des valeurs considérées comme normales, ont parfois d’importantes répercussions sur le fonctionnement psychique. Surtout si le patient est habitué à un taux d’hormones thyroïdiennes stable depuis de nombreuses années.
10 % des diagnostics psychiatriques seraient erronés, prenant à tort une pathologie organique pour une maladie mentale.
Parfois, c’est une maladie du cœur qui fausse le diagnostic. Il arrive ainsi qu’un trouble du rythme cardiaque soit pris pour un trouble anxieux : par moments, le cœur s’emballe, déclenchant une sensation d’étouffement et de vertige, doublée d’une forte angoisse – bref tous les symptômes d’une crise de panique. Mais c’est le trouble organique qui cause le problème psychique, et non l’inverse. Le traitement de l’arythmie cardiaque permet de supprimer totalement ces « fausses » attaques de panique.
Les cancers peuvent aussi se manifester en premier lieu par des symptômes psychiatriques. Il n’est pas rare que la progression de la tumeur cause fatigue, perte d’appétit et de poids, notamment car elle provoque une inflammation chronique. Souvent, les médecins attribuent à tort ces symptômes à une baisse de moral, voire à une dépression, avant de soupçonner un cancer. En particulier chez les patients qui n’ont aucun facteur de risque associé à cette dernière maladie : ceux qui sont jeunes, non fumeurs, sportifs…
Dans de rares cas, des anticorps particuliers, susceptibles d’activer ou de détruire divers récepteurs cérébraux, sont fabriqués lors de l’inflammation. Ces récepteurs sont situés dans des structures impliquées dans la régulation émotionnelle, les images mentales, les sensations sonores… S’ensuit toute une série de manifestations psychiatriques extrêmement variables : troubles de l’humeur, psychose, hallucinations, catatonie (le patient est mutique et présente divers symptômes moteurs, comme une alternance entre passivité absolue et agitation soudaine)… On parle d’encéphalite limbique auto-immune.
L’origine de ces troubles mentaux est d’autant plus difficile à détecter que la tumeur n’est pas forcément localisée dans le cerveau.
Chez Marie, une jeune femme de 22 ans que nous avons reçue il y a quelques années, elle se situait dans un ovaire (c’est souvent le cas pour un type particulier d’encéphalite, qualifié d’« anti-NMDA », du nom des récepteurs cérébraux attaqués par les anticorps). À l’origine, cette patiente avait été hospitalisée pour une dépression très sévère. Devant l’inefficacité des traitements proposés, elle a fini par être adressée à notre service et nous avons recherché des anticorps anormaux dans son liquide céphalorachidien, grâce à une ponction lombaire. C’est ainsi que nous avons découvert qu’une encéphalite expliquait ses symptômes.
Chirurgie contre cancer de l’esprit –
Des collègues chirurgiens ont procédé à l’ablation de la tumeur et Marie a reçu un traitement immunosuppresseur qui, bien souvent, atténue les symptômes, et les supprime parfois totalement. Après quelques semaines de traitement, son état s’est tellement amélioré qu’elle a pu rentrer chez elle.
D’autres maladies organopsychiatriques rares résultent d’une accumulation de certaines molécules dans le cerveau, dont le fonctionnement est perturbé. Dans la maladie de Niemann-Pick de type C, qui touche environ 1 personne sur 120 000, il s’agit de dérivés du cholestérol. Cette pathologie provoque parfois un tableau psychiatrique proche de celui de la schizophrénie : les pensées et les comportements sont erratiques, le patient se replie sur lui-même, victime d’hallucinations… Les protéines qui transportent ou transforment les produits alimentaires à l’origine du cholestérol sont alors anormales, en raison de mutations génétiques.
Ce cas illustre bien les difficultés à repérer les pathologies organopsychiatriques, puisqu’en moyenne, dix ans s’écoulent entre les premiers symptômes psychiatriques et le diagnostic. Dans l’intervalle, on prescrit souvent des médicaments psychotropes, qui restent largement inefficaces.
S’il existe de multiples dysfonctionnements organiques susceptibles de causer des symptômes psychiatriques, à l’inverse, des symptômes physiques ont parfois une cause psychiatrique. C’est ce qu’on appelle un « trouble conversif » (autrefois nommé « conversion hystérique »). Le patient présente alors des symptômes moteurs (paralysie, mouvements anormaux) ou des déficits sensoriels, comme une cécité ou une surdité soudaine. Il peut aussi être victime de crises convulsives – qui ressemblent à des crises épileptiques, sauf qu’on ne détecte aucune anomalie lorsqu’on mesure l’activité cérébrale par électroencéphalographie.
La fréquence exacte du trouble conversif est difficile à évaluer, du fait de la diversité de ses manifestations, mais il n’a rien de rare. Certaines études estiment qu’il concerne 4 % des patients qui viennent consulter pour des troubles du mouvement.
Une maladie globale du cerveau
Souvent catégorisée comme une création de l’esprit, cette pathologie est pourtant bien réelle – les symptômes ne sont en rien « imaginaires ». Récemment, plusieurs travaux utilisant l’IRM fonctionnelle ont montré qu’elle est associée à de multiples anomalies du fonctionnement cérébral. « Le trouble conversif peut être considéré comme une maladie ‘‘globale’’ du cerveau », selon Ismaël Conejero et ses collègues de l’université de Montpellier, qui ont dressé la synthèse de ces travaux dans un article publié en 2017. La cause ? Un mauvais fonctionnement de réseaux neuronaux impliqués dans la planification, l’organisation et l’exécution des mouvements volontaires, mais aussi dans la conscience du corps et dans l’agentivité (le sentiment d’être à l’origine de ses propres actions). Les chercheurs ont aussi mis en évidence des liens inhabituels entre les régions cérébrales sous-tendant les émotions et les systèmes sensoriel et moteur.
Néanmoins, ce trouble est la source de nombreuses erreurs de diagnostic, notamment car on peine parfois à le distinguer d’une simulation pure et simple. Mais aussi parce que les cliniciens ont tendance à l’incriminer dès qu’ils ne trouvent pas de cause organique : « Si on n’a rien d’évident, c’est que c’est hystérique »… Tout particulièrement quand le patient est une femme (qui sont certes plus touchées) ou présente un « trouble de la personnalité histrionique », caractérisé par des émotions exacerbées et une constante recherche d’attention. Pourtant, les recherches les plus récentes montrent que ce dernier n’est pas spécialement associé au trouble conversif.
Un trouble qui progresse, une thérapie qui piétine
S’ensuivent de pénibles errances médicales, comme l’illustre le cas de Charlotte, 27 ans. Agent d’entretien dans une grande enseigne de supermarché, elle a subi une triple fracture de la jambe gauche suite à un accident de voiture. Après quelques semaines de rééducation, elle n’arrive toujours pas à la réutiliser correctement. Pire, elle a de plus en plus de mal à bouger sa jambe droite, épargnée par l’accident. Pendant plusieurs mois, elle est clouée au lit ou dans un fauteuil. Le moral en chute libre, elle commence à déprimer. Apparaissent alors de nouveaux symptômes : à son tour, son bras droit donne des signes de paralysie. Les douleurs s’accumulent dans les jambes et dans le dos. Scanner des jambes et du cerveau, IRM cérébrale et médullaire, électroneuromyogramme (un test visant à vérifier que les nerfs ne sont pas endommagés)… Rien n’y fait, la cause reste mystérieuse. La patiente est alors adressée en neurologie, pour y être examinée de la tête aux pieds pendant 15 jours. Une ponction lombaire ne livre pas la clé du mystère : ni le cerveau, ni la moelle ne semblent atteints. Quant au scanner des jambes, il ne montre aucune anomalie susceptible d’expliquer les symptômes. La conclusion des médecins tombe : trouble conversif. Autrement dit, « c’est dans sa tête ».
10 ans s’écoulent en moyenne entre les premiers symptômes psychiatriques et le diagnostic correct dans le cas de la maladie de Niemann-Pick de type C, une pathologie rare causée par l’accumulation de cholestérol dans le cerveau.
Commence alors pour Charlotte un long périple dans plusieurs établissements psychiatriques. Elle enchaîne les médicaments : antidépresseurs, régulateurs d’humeur, antipsychotiques… Peine perdue. Devant l’absence d’amélioration, elle est envoyée en convalescence dans un centre de rééducation, où des examens complémentaires sont demandés. Et c’est enfin le bout du tunnel ! Une petite fracture est détectée au niveau de l’épaule, expliquant les douleurs dorsales et la rigidité du bras ; elle était passée inaperçue jusque-là car elle se situait dans une zone particulièrement difficile à visualiser, à l’intersection de l’omoplate et de l’humérus. On découvre aussi une maladie inflammatoire sévère, la neuroalgodystrophie, qui explique la paralysie progressive des membres inférieurs. Charlotte reçoit un traitement adapté, à base d’antalgiques, d’anti-inflammatoires et de kinésithérapie. Au bout de quelques semaines, elle se remet à marcher. Puis reprend progressivement le cours de sa vie.
Le cas de Charlotte n’est pas isolé : posé trop tôt, le diagnostic de trouble conversif peut faire passer à côté de plusieurs autres pathologies organiques, comme la sclérose en plaques. Il révèle toute l’ampleur des défis auxquels sont confrontés les cliniciens : Charlotte était victime d’un trouble organique – une fracture et une inflammation –, qui mimait une pathologie psychiatrique – le trouble conversif –… imitant elle-même une autre maladie organique, la paralysie !
On touche là une des difficultés majeures auxquelles est confrontée la psychiatrie, car on ne peut multiplier indéfiniment les examens coûteux. Comment décider s’il faut accepter une cause « psychologique » ou persévérer dans la réflexion diagnostique ?
Parfois, des symptômes neurologiques légers pointent vers une maladie organique, mais dans un certain nombre de cas, seules les manifestations psychiatriques sont visibles. La clé est alors de repérer certains symptômes atypiques, comme des troubles cognitifs « inhabituels », un début tardif ou au contraire trop précoce de la maladie, des hallucinations visuelles, l’inefficacité de certains traitements ou la présence d’effets secondaires fréquents et sévères…,,
Comment repérer ces pathologies ?
Prenons l’exemple d’un patient qui a le moral à zéro et peine à retrouver ses souvenirs. Est-ce une dépression ? Il arrive en effet que cette maladie soit associée à des perturbations mémorielles, mais elles sont modérées et indirectes, causées par des troubles de l’attention : les patients semblent par exemple avoir oublié qu’ils ont croisé un ami dans la rue car ils n’y ont pas prêté attention sur le moment ou ont du mal à focaliser leur esprit sur ce souvenir. Cependant, leur cerveau a tout de même enregistré l’information et quand on leur donne un indice (« Y a-t-il longtemps que vous avez vu Untel ? »), ils se la rappellent. Si ce n’est pas le cas ou si les pertes de mémoire sont importantes, alors ce n’est peut-être pas une dépression et la piste organopsychiatrique mérite d’être explorée.
L’âge où la pathologie s’est déclarée constitue aussi un indice précieux, car la plupart des maladies psychiatriques connaissent des pics épidémiologiques. La schizophrénie, par exemple, débute souvent au début de l’âge adulte. Si une maladie qui lui ressemble survient avant 15 ans ou après 40, il y a un risque que son origine soit organique. Bien sûr, cela devra être confirmé par des examens plus poussés, car il existe des formes de schizophrénie infantiles ou tardives. Autre exemple : le trouble anxieux généralisé. Son pic de fréquence se situant entre 20 et 30 ans, si un trouble qui en a tous les symptômes survient vers 50 ans, il a peut-être une cause organique, comme l’arythmie cardiaque que nous avons évoquée. Là encore, ce n’est qu’un indice (les troubles anxieux peuvent survenir à tout âge), à combiner avec d’autres. Par exemple les antécédents cardiaques du patient.
D’autres signes doivent alerter, comme la présence d’hallucinations visuelles. En effet, les patients victimes de troubles psychiatriques ont plutôt des hallucinations auditives : ils entendent des voix. Enfin, les antécédents familiaux sont à prendre en compte, car la plupart des maladies organopsychiatriques ont une composante génétique.
Un dialogue nécessaire entre les services de médecine
Pour dénouer les fils de ces cas complexes, le service de psychiatrie de l’hôpital Saint-Antoine a tissé de longue date des liens privilégiés avec les services de neurologie et de médecine interne. Dès lors, au moindre signe anormal, un psychiatre, un neurologue et un médecin interniste se réunissent pour décider s’il y a lieu de suspecter une cause organique. Quand la réponse est affirmative, ils lancent une large gamme d’examens complémentaires, visant à traquer les principales pathologies évoquées dans cet article (et bien d’autres encore) : dosages sanguins particuliers, analyses génétiques, imagerie cérébrale…
Repérer les symptômes inhabituels
Maladie mentale ou trouble organopsychiatrique ? Certains symptômes doivent orienter vers la seconde option. Bien sûr, pris séparément, ils ne suffisent pas pour trancher. C’est le recoupement de plusieurs indices qui conduit au bon diagnostic.
- Symptômes confusionnels : désorientation temporelle ou spatiale, difficulté à fixer son attention…
- Hallucinations visuelles : formes, personnes ou scènes « vues » par le patient (phénomène assez rare dans les maladies psychiatriques, où les hallucinations auditives sont plus fréquentes).
- Troubles cognitifs : pertes de mémoire, baisse des performances intellectuelles ou des capacités d’apprentissage.
- Catatonie : mutisme, alternance entre passivité absolue et agitation soudaine.
- Résistance au traitement : inefficacité des médicaments prescrits, voire effets indésirables fréquents ou sévères.
- Symptômes neurologiques : épilepsie, tremblements, perte d’équilibre, rigidité, mouvements anormaux, douleurs inexpliquées…
- Symptômes digestifs : douleurs abdominales, perte d’appétit.
- État fluctuant : variations fréquentes des symptômes.
De plus en plus de centres hospitaliers universitaires entament aussi des recherches sur ces maladies organopsychiatriques. Les progrès des connaissances devraient permettre de mieux soigner non seulement ces maladies, mais peut-être aussi d’authentiques maladies psychiatriques. En effet, dans ces dernières, les éléments perturbateurs identifiés (inflammation, carences vitaminiques, troubles hormonaux, etc.) interviennent souvent en tant que facteurs aggravants : ils modulent la vulnérabilité du cerveau face aux épreuves auxquelles nous sommes soumis, comme un deuil ou un licenciement, qui augmentent le risque de dépression. On estime ainsi qu’une inflammation cérébrale cause ou aggrave les symptômes dans 20 à 30 % des dépressions. Quand elle est provoquée par un élément psychologique, comme un stress excessif, un cercle vicieux s’instaure : le stress cause une inflammation, qui accroît la vulnérabilité au stress. C’est ce qui explique que les personnes victimes de traumatismes infantiles aient des réponses inflammatoires particulièrement marquées face aux événements stressants, comme l’a montré en 2006 Thaddeus Pace, de l’université Emory, aux États-Unis.
Signe de ces influences mutuelles entre corps et esprit, la Haute autorité de santé (HAS) recommande d’effectuer systématiquement un bilan biologique minimal dès qu’une pathologie psychiatrique est suspectée. Il se fonde notamment sur une analyse sanguine, pour détecter d’éventuels dysfonctionnements de la thyroïde, des reins ou du foie. Cependant, en l’état actuel des connaissances, ce bilan semble insuffisant : il ne comporte par exemple pas de mesure du taux de vitamine B12, dont la carence a causé les troubles de Nicolas, que nous avons décrits en ouverture de cet article. Heureusement, de plus en plus de psychiatres effectuent malgré tout cet examen et l’errance diagnostique de ce patient, qui remonte à une dizaine d’années, serait moins probable aujourd’hui. Le bilan minimal mériterait aussi d’être étoffé avec la recherche systématique d’une inflammation cérébrale.
Les nouvelles connaissances sur l’importance des facteurs biologiques n’influencent pas que le diagnostic, mais aussi le soin. Chez les patients atteints de trouble dépressif résistant, par exemple, on recommande déjà d’optimiser les taux d’hormones thyroïdiennes. Bien sûr, cela ne doit pas conduire à s’éloigner des méthodes psychothérapeutiques.
Retourner aux sources… et poursuivre le chemin !
Le soin mental ne fait que retrouver un chemin qu’il n’aurait jamais dû quitter : jusqu’en 1968, en France, la neurologie et la psychiatrie étaient exercées au sein d’une seule et même spécialité, la neuropsychiatrie. Après le clivage, la neurologie a pris en charge les pathologies où l’on détectait des lésions et la psychiatrie celles attribuées à des causes psychologiques. Mais on sait aujourd’hui que la frontière n’est pas si claire et que même quand aucune lésion n’est visible, de multiples facteurs biologiques peuvent perturber le cerveau à l’échelle moléculaire. Les différentes branches du soin mental ont donc tout intérêt à converger à nouveau, ou à interagir au maximum. Et à embarquer au passage quelques autres branches de la médecine, les recherches récentes ayant montré toute l’influence des systèmes hormonaux, digestif, cardiaque et immunitaire. L’esprit ne s’ancre pas seulement dans le cerveau, mais dans tout le corps.
Pourquoi tant d’erreurs de diagnostic ?
La plupart du temps, les cliniciens posent leur diagnostic en se fondant sur un entretien non standardisé, qu’ils interprètent selon leur expérience et leurs opinions personnelles, au lieu d’utiliser une approche systématique. Certes, ils tranchent ainsi plus rapidement que s’ils devaient passer en revue un grand nombre de causes potentielles, et parviennent à se décider même lorsqu’ils ne disposent que d’informations incomplètes, mais ils risquent aussi davantage de se tromper. Soit parce qu’ils se sont forgé une représentation typique de la maladie, et donc échouent à identifier cette dernière dès qu’elle s’écarte un peu de ce prototype, soit parce qu’ils attribuent un poids excessif à certains symptômes. Par exemple, pour la schizophrénie, les psychologues américaines Nancy Kim et Woo-Kyoung Ahn ont montré en 2002 que les cliniciens considèrent le délire et les hallucinations comme plus significatifs que la présence d’un discours désorganisé ou de symptômes « négatifs » (anxiété, apathie, retrait social) ; pourtant, toutes les études concluent que ces critères sont en réalité bien plus caractéristiques de la maladie.
Ces méthodes intuitives, qualifiées d’heuristiques, conduisent en outre souvent à poser un diagnostic psychiatrique dès qu’un symptôme évoque ce type de maladie, et à passer à côté d’une cause organique. C’est d’autant plus problématique qu’on ne dispose pas d’examens complémentaires en psychiatrie : si un patient est diagnostiqué dépressif ou schizophrène, aucun marqueur biologique, détectable par exemple à l’aide d’un test sanguin ou d’une IRM, ne permettra de confirmer ou d’infirmer ce diagnostic. Cela viendra peut-être : de nombreux laboratoires sont à la recherche de tels marqueurs…