Ces
maladies psychiatriques qui n’en sont pas : comment les
démasquer ?
Dépression
sévère ? Schizophrénie ? Non : carence en vitamines. Tel est
l’étonnant diagnostic que reçoivent certains patients, victimes
de pathologies dites organopsychiatriques. Véritables caméléons,
ces pathologies miment toutes sortes de maladies mentales et
provoquent souvent une longue errance médicale.
Alexis
Bourla, Florian Ferreri et Stéphane Mouchabac , Psychiatres –Publié
le 22/08/2018 à 08h00 dans la revue CERVEAU 1 PSYCHO
Nicolas est un jeune homme d’une vingtaine d’années qui a tenté de se suicider en avalant des produits toxiques. Quand il arrive à l’hôpital, l’urgence est de le sauver et les chirurgiens doivent lui enlever une partie de l’estomac et de l’œsophage. Ensuite, le diagnostic tombe : dépression sévère. On lui prescrit des médicaments et une psychothérapie, qu’il suit pendant quelque temps, puis on le perd de vue. Les années passent et Nicolas est à nouveau amené aux urgences, cette fois par la police et dans un état d’agitation important. Vivant dans la rue depuis presque un an, il ne prend plus soin de lui, parle tout seul, répond aux questions de manière totalement inadaptée et souffre d’hallucinations auditives. Les soignants s’interrogent, enquêtent, et reconstituent peu à peu les parties manquantes de son histoire. Quelques mois après sa dépression, alors qu’il s’en était remis, il a vu son état se dégrader de nouveau progressivement. Il a fini par quitter sa compagne sur un coup de tête, puis s’est mis à errer dans la ville sans raison, en délirant sur un complot à son encontre. Un nouveau diagnostic est alors posé : schizophrénie. L’état de Nicolas est grave, il est hospitalisé en psychiatrie. Mais plusieurs mois de traitements ne donneront aucun résultat. Le patient enchaîne les médicaments antipsychotiques sans le moindre bénéfice. Les tests sanguins standards et l’imagerie cérébrale ne révèlent rien de significatif.
Nicolas
est alors transféré dans notre unité, à l’hôpital
Saint-Antoine, pour effectuer des examens complémentaires, voire
tenter des thérapies innovantes.
Enfin,
le bon diagnostic tombe : non, ce n’est pas dans la tête, rien à
voir avec une maladie mentale. Les symptômes
s’expliquent par une carence très sévère en vitamine B12.
Immédiatement, nous prescrivons à Nicolas des suppléments
vitaminiques. En seulement quatre semaines, ses symptômes
psychiatriques disparaissent. Il sort de l’hôpital peu après.
Trois mois plus tard, il a retrouvé un logement, un travail et a
renoué avec son entourage.
Le
cas de Nicolas est typique des « maladies organiques à expression
psychiatrique », ces pathologies qui ont une cause
physiologique mais miment un trouble psychiatrique. Véritables
caméléons, elles sont capables d’imiter toute la gamme des
maladies mentales : dépression, trouble anxieux, schizophrénie…
Au sein de l’hôpital Saint-Antoine, notre service est
régulièrement confronté à ces cas où s’estompe la frontière
entre ce qui tient du corps et de l’esprit. Certaines études
estiment qu’environ 10 % des diagnostics psychiatriques sont
erronés, passant à côté d’une cause organique sous-jacente.
Dépression ?
Non ! Manque de vitamines
Mais
revenons à Nicolas. Comment un simple manque de vitamines peut-il
déclencher des symptômes aussi sévères ? La vitamine B12 est
impliquée dans plusieurs cycles enzymatiques essentiels. Dès lors,
sa carence entraîne le dysfonctionnement des « chaînes de
fabrication » de certains neuromédiateurs clés – comme la
sérotonine, impliquée dans la régulation émotionnelle –, dont
la quantité diminue dans le cerveau. En outre, des dérivés
toxiques s’accumulent, déclenchant une inflammation cérébrale.
Certaines molécules produites lors de cette réaction (comme les
cytokines) provoquent une hypersensibilité de l’axe du stress, une
diminution supplémentaire de la production de neuromédiateurs et
toutes sortes d’autres réactions qui affectent le psychisme. Au
final, une carence en vitamine B12 peut perturber gravement l’humeur,
voire se traduire par des troubles psychotiques chez certains
patients vulnérables.
Outre
les vitamines, les hormones ont une influence capitale sur le
psychisme. Nombre de pathologies endocriniennes sont alors
confondues avec des maladies psychiatriques. La thyroïde, une petite
glande située à la base de notre cou, produit par exemple plusieurs
hormones « activatrices » – qui stimulent le métabolisme –,
essentielles au fonctionnement cérébral. Par conséquent, une
hypothyroïdie (un manque d’hormones thyroïdiennes) peut
ressembler à une dépression et une hyperthyroïdie (un excès de
ces hormones) à un syndrome maniaque. Autre exemple, certaines
maladies des glandes surrénales, qui fabriquent le cortisol
– l’hormone du stress –, entraînent un excès chronique de
cette hormone et provoquent des symptômes anxieux ou dépressifs.
Trouble
anxieux ? Non ! Problème hormonal
En
général, les médecins connaissent ces manifestations
psychiatriques et contrôlent les taux d’hormones. « Tous les
endocrinologues rapportent des histoires de patients présentant des
signes de dépression et d’anxiété qui ont disparu après un
contrôle et un rééquilibrage de leur taux d’hormone
thyroïdienne », rapporte ainsi Barbara Demeneix, spécialiste de
cette hormone, dans son livre Cocktail toxique. Toutefois, notre
expérience nous incite à penser que certains cas passent sous les
radars, car nous avons constaté que des modifications très minimes,
dans la limite des valeurs considérées comme normales, ont parfois
d’importantes répercussions sur le fonctionnement psychique.
Surtout si le patient est habitué à un taux d’hormones
thyroïdiennes stable depuis de nombreuses années.
10 %
des diagnostics psychiatriques seraient erronés, prenant à tort une
pathologie organique pour une maladie mentale.
Parfois,
c’est une maladie du cœur qui fausse le diagnostic. Il arrive
ainsi qu’un trouble du rythme cardiaque soit pris pour un trouble
anxieux : par moments, le cœur s’emballe, déclenchant une
sensation d’étouffement et de vertige, doublée d’une forte
angoisse – bref tous les symptômes d’une crise de panique.
Mais c’est le trouble organique qui cause le problème psychique,
et non l’inverse. Le traitement de l’arythmie cardiaque permet de
supprimer totalement ces « fausses » attaques de panique.
Les
cancers peuvent aussi se manifester en premier lieu par des symptômes
psychiatriques. Il n’est pas rare que la progression de la
tumeur cause fatigue, perte d’appétit et de poids, notamment car
elle provoque une inflammation chronique. Souvent, les médecins
attribuent à tort ces symptômes à une baisse de moral, voire à
une dépression, avant de soupçonner un cancer. En particulier chez
les patients qui n’ont aucun facteur de risque associé à cette
dernière maladie : ceux qui sont jeunes, non fumeurs, sportifs…
Dans
de rares cas, des anticorps particuliers, susceptibles d’activer ou
de détruire divers récepteurs cérébraux, sont fabriqués lors de
l’inflammation. Ces récepteurs sont situés dans des structures
impliquées dans la régulation émotionnelle, les images mentales,
les sensations sonores… S’ensuit toute une série de
manifestations psychiatriques extrêmement variables : troubles de
l’humeur, psychose, hallucinations, catatonie (le patient est
mutique et présente divers symptômes moteurs, comme une alternance
entre passivité absolue et agitation soudaine)… On parle
d’encéphalite limbique auto-immune.
L’origine
de ces troubles mentaux est d’autant plus difficile à détecter
que la tumeur n’est pas forcément localisée dans le cerveau.
Chez
Marie, une jeune femme de 22 ans que nous avons reçue
il y a quelques années, elle se situait dans un ovaire (c’est
souvent le cas pour un type particulier d’encéphalite, qualifié
d’« anti-NMDA », du nom des récepteurs cérébraux attaqués
par les anticorps). À l’origine, cette patiente avait été
hospitalisée pour une dépression très sévère. Devant
l’inefficacité des traitements proposés, elle a fini par être
adressée à notre service et nous avons recherché des anticorps
anormaux dans son liquide céphalorachidien, grâce à une ponction
lombaire. C’est ainsi que nous avons découvert qu’une
encéphalite expliquait ses symptômes.
Chirurgie
contre cancer de l’esprit –
Des
collègues chirurgiens ont procédé à l’ablation de la tumeur et
Marie a reçu un traitement immunosuppresseur qui, bien souvent,
atténue les symptômes, et les supprime parfois totalement. Après
quelques semaines de traitement, son état s’est tellement amélioré
qu’elle a pu rentrer chez elle.
D’autres
maladies organopsychiatriques rares résultent
d’une accumulation de certaines molécules dans le cerveau, dont le
fonctionnement est perturbé. Dans la maladie de Niemann-Pick de
type C, qui touche environ 1 personne sur 120 000,
il s’agit de dérivés du cholestérol. Cette
pathologie provoque parfois un tableau psychiatrique proche de celui
de la schizophrénie : les pensées et les comportements
sont erratiques, le patient se replie sur lui-même, victime
d’hallucinations… Les protéines qui transportent ou
transforment les produits alimentaires à l’origine du cholestérol
sont alors anormales, en raison de mutations génétiques.
Ce
cas illustre bien les difficultés à repérer les pathologies
organopsychiatriques, puisqu’en moyenne, dix
ans s’écoulent entre les premiers symptômes psychiatriques et le
diagnostic. Dans l’intervalle, on prescrit souvent
des médicaments psychotropes, qui restent largement inefficaces.
S’il
existe de multiples dysfonctionnements organiques susceptibles de
causer des symptômes psychiatriques, à l’inverse,
des symptômes physiques ont parfois une cause psychiatrique.
C’est ce qu’on appelle un « trouble conversif » (autrefois
nommé « conversion hystérique »). Le patient présente alors
des symptômes moteurs (paralysie, mouvements anormaux) ou des
déficits sensoriels, comme une cécité ou une surdité soudaine. Il
peut aussi être victime de crises convulsives – qui ressemblent à
des crises épileptiques, sauf qu’on ne détecte aucune anomalie
lorsqu’on mesure l’activité cérébrale par
électroencéphalographie.
La
fréquence exacte du trouble conversif est difficile à évaluer, du
fait de la diversité de ses manifestations, mais il n’a rien de
rare. Certaines études estiment qu’il concerne 4 % des patients
qui viennent consulter pour des troubles du mouvement.
Une
maladie globale du cerveau
Souvent
catégorisée comme une création de l’esprit, cette pathologie est
pourtant bien réelle – les symptômes ne sont en rien
« imaginaires ». Récemment, plusieurs travaux utilisant l’IRM
fonctionnelle ont montré qu’elle est associée à de multiples
anomalies du fonctionnement cérébral. « Le trouble conversif
peut être considéré comme une maladie ‘‘globale’’ du
cerveau », selon Ismaël Conejero et ses collègues de
l’université de Montpellier, qui ont dressé la synthèse de ces
travaux dans un article publié en 2017. La cause ? Un mauvais
fonctionnement de réseaux neuronaux impliqués dans la
planification, l’organisation et l’exécution des mouvements
volontaires, mais aussi dans la conscience du corps et dans
l’agentivité (le sentiment d’être à l’origine de ses propres
actions). Les chercheurs ont aussi mis en évidence des liens
inhabituels entre les régions cérébrales sous-tendant les émotions
et les systèmes sensoriel et moteur.
Néanmoins,
ce trouble est la source de nombreuses erreurs de diagnostic,
notamment car on peine parfois à le distinguer d’une simulation
pure et simple. Mais aussi parce que les cliniciens ont tendance à
l’incriminer dès qu’ils ne trouvent pas de cause organique :
« Si on n’a rien d’évident, c’est que c’est hystérique »…
Tout particulièrement quand le patient est une femme (qui sont
certes plus touchées) ou présente un « trouble de la
personnalité histrionique », caractérisé par des émotions
exacerbées et une constante recherche d’attention. Pourtant, les
recherches les plus récentes montrent que ce dernier n’est pas
spécialement associé au trouble conversif.
Un
trouble qui progresse, une thérapie qui piétine
S’ensuivent
de pénibles errances médicales, comme l’illustre le cas de
Charlotte, 27 ans. Agent d’entretien dans une grande enseigne de
supermarché, elle a subi une triple fracture de la jambe gauche
suite à un accident de voiture. Après quelques semaines de
rééducation, elle n’arrive toujours pas à la réutiliser
correctement. Pire, elle a de plus en plus de mal à bouger sa jambe
droite, épargnée par l’accident. Pendant plusieurs mois, elle est
clouée au lit ou dans un fauteuil. Le moral en chute libre, elle
commence à déprimer. Apparaissent alors de nouveaux symptômes :
à son tour, son bras droit donne des signes de paralysie. Les
douleurs s’accumulent dans les jambes et dans le dos. Scanner des
jambes et du cerveau, IRM cérébrale et médullaire,
électroneuromyogramme (un test visant à vérifier que les nerfs ne
sont pas endommagés)… Rien n’y fait, la cause reste mystérieuse.
La patiente est alors adressée en neurologie, pour y être examinée
de la tête aux pieds pendant 15 jours. Une ponction lombaire ne
livre pas la clé du mystère : ni le cerveau, ni la moelle ne
semblent atteints. Quant au scanner des jambes, il ne montre aucune
anomalie susceptible d’expliquer les symptômes. La conclusion des
médecins tombe : trouble conversif. Autrement dit, « c’est
dans sa tête ».
10
ans s’écoulent en moyenne entre les premiers symptômes
psychiatriques et le diagnostic correct dans le cas de la maladie de
Niemann-Pick de type C, une pathologie rare causée par
l’accumulation de cholestérol dans le cerveau.
Commence
alors pour Charlotte un long périple dans plusieurs établissements
psychiatriques. Elle enchaîne les médicaments : antidépresseurs,
régulateurs d’humeur, antipsychotiques… Peine perdue. Devant
l’absence d’amélioration, elle est envoyée en convalescence
dans un centre de rééducation, où des examens complémentaires
sont demandés. Et c’est enfin le bout du tunnel ! Une petite
fracture est détectée au niveau de l’épaule, expliquant les
douleurs dorsales et la rigidité du bras ; elle était passée
inaperçue jusque-là car elle se situait dans une zone
particulièrement difficile à visualiser, à l’intersection de
l’omoplate et de l’humérus. On découvre aussi une maladie
inflammatoire sévère, la neuroalgodystrophie, qui explique la
paralysie progressive des membres inférieurs. Charlotte reçoit un
traitement adapté, à base d’antalgiques, d’anti-inflammatoires
et de kinésithérapie. Au bout de quelques semaines, elle se remet à
marcher. Puis reprend progressivement le cours de sa vie.
Le
cas de Charlotte n’est pas isolé : posé trop tôt, le
diagnostic de trouble conversif peut faire passer à côté de
plusieurs autres pathologies organiques, comme la sclérose en
plaques. Il révèle toute l’ampleur des défis auxquels sont
confrontés les cliniciens : Charlotte était victime d’un
trouble organique – une fracture et une inflammation –, qui
mimait une pathologie psychiatrique – le trouble conversif –…
imitant elle-même une autre maladie organique, la paralysie !
On
touche là une des difficultés majeures auxquelles est confrontée
la psychiatrie, car on ne peut multiplier indéfiniment les examens
coûteux. Comment décider s’il faut accepter une cause
« psychologique » ou persévérer dans la réflexion
diagnostique ?
Parfois,
des symptômes neurologiques légers pointent vers une maladie
organique, mais dans un certain nombre de cas, seules les
manifestations psychiatriques sont visibles. La clé est alors de
repérer certains symptômes atypiques, comme des troubles cognitifs
« inhabituels », un début tardif ou au contraire trop précoce
de la maladie, des hallucinations visuelles, l’inefficacité de
certains traitements ou la présence d’effets secondaires fréquents
et sévères…,,
Comment
repérer ces pathologies ?
Prenons
l’exemple d’un patient qui a le moral à zéro et peine à
retrouver ses souvenirs. Est-ce une dépression ? Il arrive en
effet que cette maladie soit associée à des perturbations
mémorielles, mais elles sont modérées et indirectes, causées par
des troubles de l’attention : les patients semblent par exemple
avoir oublié qu’ils ont croisé un ami dans la rue car ils n’y
ont pas prêté attention sur le moment ou ont du mal à focaliser
leur esprit sur ce souvenir. Cependant, leur cerveau a tout de même
enregistré l’information et quand on leur donne un indice (« Y
a-t-il longtemps que vous avez vu Untel ? »), ils se la
rappellent. Si ce n’est pas le cas ou si les pertes de mémoire
sont importantes, alors ce n’est peut-être pas une dépression et
la piste organopsychiatrique mérite d’être explorée.
L’âge
où la pathologie s’est déclarée constitue aussi un indice
précieux, car la plupart des maladies psychiatriques connaissent des
pics épidémiologiques. La schizophrénie, par exemple, débute
souvent au début de l’âge adulte. Si une maladie qui lui
ressemble survient avant 15 ans ou après 40, il y a un risque que
son origine soit organique. Bien sûr, cela devra être confirmé par
des examens plus poussés, car il existe des formes de schizophrénie
infantiles ou tardives. Autre exemple : le trouble anxieux
généralisé. Son pic de fréquence se situant entre 20 et 30 ans,
si un trouble qui en a tous les symptômes survient vers 50 ans, il a
peut-être une cause organique, comme l’arythmie cardiaque que nous
avons évoquée. Là encore, ce n’est qu’un indice (les troubles
anxieux peuvent survenir à tout âge), à combiner avec d’autres.
Par exemple les antécédents cardiaques du patient.
D’autres
signes doivent alerter, comme la présence d’hallucinations
visuelles. En effet, les patients victimes de troubles psychiatriques
ont plutôt des hallucinations auditives : ils entendent des voix.
Enfin, les antécédents familiaux sont à prendre en compte, car la
plupart des maladies organopsychiatriques ont une composante
génétique.
Un
dialogue nécessaire entre les services de médecine
Pour
dénouer les fils de ces cas complexes, le service de psychiatrie de
l’hôpital Saint-Antoine a tissé de longue date des liens
privilégiés avec les services de neurologie et de médecine
interne. Dès lors, au moindre
signe anormal, un psychiatre, un neurologue et un médecin interniste
se réunissent pour décider s’il y a lieu de suspecter une cause
organique. Quand la réponse est affirmative, ils lancent une
large gamme d’examens complémentaires, visant à traquer les
principales pathologies évoquées dans cet article (et bien d’autres
encore) : dosages sanguins particuliers, analyses génétiques,
imagerie cérébrale…
Repérer
les symptômes inhabituels
Maladie
mentale ou trouble organopsychiatrique ? Certains symptômes
doivent orienter vers la seconde option. Bien sûr, pris séparément,
ils ne suffisent pas pour trancher. C’est le recoupement de
plusieurs indices qui conduit au bon diagnostic.
- Symptômes
confusionnels : désorientation
temporelle
ou spatiale, difficulté à fixer son attention…
- Hallucinations
visuelles : formes,
personnes ou scènes « vues »
par le patient (phénomène assez rare dans les maladies
psychiatriques, où les hallucinations auditives sont plus
fréquentes).
- Troubles
cognitifs : pertes
de mémoire, baisse des performances intellectuelles
ou des capacités d’apprentissage.
- Catatonie : mutisme,
alternance entre passivité absolue et agitation soudaine.
- Résistance
au traitement : inefficacité
des médicaments prescrits, voire effets indésirables fréquents ou
sévères.
- Symptômes
neurologiques : épilepsie, tremblements, perte d’équilibre, rigidité,
mouvements
anormaux,
douleurs inexpliquées…
- Symptômes
digestifs : douleurs
abdominales,
perte d’appétit.
- État
fluctuant : variations
fréquentes des symptômes.
De
plus en plus de centres hospitaliers universitaires entament aussi
des recherches sur ces maladies organopsychiatriques. Les
progrès des connaissances devraient permettre de mieux soigner non
seulement ces maladies, mais peut-être aussi d’authentiques
maladies psychiatriques. En effet, dans ces dernières, les éléments
perturbateurs identifiés (inflammation, carences vitaminiques,
troubles hormonaux, etc.) interviennent souvent en tant que facteurs
aggravants : ils modulent la vulnérabilité du cerveau face aux
épreuves auxquelles nous sommes soumis, comme un deuil ou un
licenciement, qui augmentent le risque de dépression. On estime
ainsi qu’une inflammation cérébrale cause ou aggrave les
symptômes dans 20 à 30 % des dépressions. Quand elle est
provoquée par un élément psychologique, comme un stress excessif,
un cercle vicieux s’instaure : le stress cause une inflammation,
qui accroît la vulnérabilité au stress. C’est ce qui explique
que les personnes victimes de traumatismes infantiles aient des
réponses inflammatoires particulièrement marquées face aux
événements stressants, comme l’a montré en 2006 Thaddeus
Pace, de l’université Emory, aux États-Unis.
Signe
de ces influences mutuelles entre corps et esprit,
la Haute autorité de santé (HAS) recommande d’effectuer
systématiquement un bilan biologique minimal dès qu’une
pathologie psychiatrique est suspectée. Il se fonde notamment
sur une analyse sanguine, pour détecter d’éventuels dysfonctionnements de la thyroïde, des
reins ou du foie. Cependant, en l’état actuel
des connaissances, ce bilan semble insuffisant : il ne comporte par
exemple pas de mesure du taux de vitamine B12, dont la carence a
causé les troubles de Nicolas, que nous avons décrits en ouverture
de cet article. Heureusement, de plus en plus de psychiatres
effectuent malgré tout cet examen et l’errance diagnostique de ce
patient, qui remonte à une dizaine d’années, serait moins
probable aujourd’hui. Le bilan minimal mériterait aussi d’être
étoffé avec la recherche systématique d’une inflammation
cérébrale.
Les
nouvelles connaissances sur l’importance des facteurs biologiques
n’influencent pas que le diagnostic, mais aussi le soin. Chez les
patients atteints de trouble dépressif résistant, par exemple, on
recommande déjà d’optimiser les taux d’hormones thyroïdiennes.
Bien sûr, cela ne doit pas conduire à s’éloigner des méthodes
psychothérapeutiques.
Retourner
aux sources… et poursuivre le chemin !
Le
soin mental ne fait que retrouver un chemin qu’il n’aurait jamais
dû quitter : jusqu’en 1968,
en France, la neurologie et la psychiatrie étaient exercées au sein
d’une seule et même spécialité, la neuropsychiatrie. Après
le clivage, la neurologie a pris en charge les pathologies où l’on
détectait des lésions et la psychiatrie celles attribuées à des
causes psychologiques. Mais on sait aujourd’hui que la frontière
n’est pas si claire et que même quand aucune lésion n’est
visible, de multiples facteurs biologiques peuvent perturber le
cerveau à l’échelle moléculaire. Les
différentes branches du soin mental ont donc tout intérêt à
converger à nouveau, ou à interagir au maximum. Et à
embarquer au passage quelques autres branches de la médecine, les
recherches récentes ayant montré toute l’influence des systèmes
hormonaux, digestif, cardiaque et immunitaire. L’esprit ne s’ancre
pas seulement dans le cerveau, mais dans tout le corps.
Pourquoi
tant d’erreurs de diagnostic ?
La
plupart du temps, les cliniciens posent leur diagnostic en se fondant
sur un entretien non standardisé, qu’ils interprètent selon leur
expérience et leurs opinions personnelles, au lieu d’utiliser une
approche systématique. Certes, ils tranchent ainsi plus rapidement
que s’ils devaient passer en revue un grand nombre de causes
potentielles, et parviennent à se décider même lorsqu’ils ne
disposent que d’informations incomplètes, mais ils risquent aussi
davantage de se tromper. Soit parce qu’ils se sont forgé une
représentation typique de la maladie, et donc échouent à
identifier cette dernière dès qu’elle s’écarte un peu de ce
prototype, soit parce qu’ils attribuent un poids excessif à
certains symptômes. Par exemple, pour la schizophrénie, les
psychologues américaines Nancy Kim et Woo-Kyoung Ahn ont montré
en 2002 que les cliniciens considèrent le délire et les
hallucinations comme plus significatifs que la présence d’un
discours désorganisé ou de symptômes « négatifs » (anxiété,
apathie, retrait social) ; pourtant, toutes les études concluent
que ces critères sont en réalité bien plus caractéristiques de la
maladie.
Ces
méthodes intuitives, qualifiées d’heuristiques, conduisent en
outre souvent à poser un diagnostic psychiatrique dès qu’un
symptôme évoque ce type de maladie, et à passer à côté d’une
cause organique. C’est d’autant plus problématique qu’on ne
dispose pas d’examens complémentaires en psychiatrie : si un
patient est diagnostiqué dépressif ou schizophrène, aucun marqueur
biologique, détectable par exemple à l’aide d’un test sanguin
ou d’une IRM, ne permettra de confirmer ou d’infirmer ce
diagnostic. Cela viendra peut-être : de nombreux laboratoires sont
à la recherche de tels marqueurs…